Depuis longtemps, je suis curieux de connaître les îles du Cap Vert. Un ami me demande de faire un projet d’autonomie nourricière dans l’île de Maio, la plus pauvre des îles du Cap Vert où il n’y a pas eu de pluie depuis 11 ans. Les petits jardins ont peu à peu cessé de produire de la nourriture, les arboriculteurs et les maraîchers se sont retrouvés avec leurs puits à sec et ne peuvent plus – pour la première fois depuis très longtemps – planter pour subvenir aux besoins de la population. La guerre en Ukraine, avec son cortège d’augmentation de prix des denrées de bases, vient aggraver la situation de la nourriture, puisque l’île dépend de l’extérieur.
L’île de Maio
Maio a toujours été une île pauvre et sa dépendance économique constitue une grande vulnérabilité. Les principales ressources économiques, viennent de la pêche et l’exploitation du sel. L’autre point névralgique est d’aller vers « l’autonomie nourricière ».
À l’image de son passé colonial le Cap-Vert est aujourd’hui la cible d’interventions extérieures visant à transformer radicalement son alimentation et son agriculture. Les nouveaux réseaux occidentaux imposent des projets d’agriculture industrielle, excluant les savoirs faire locaux des petits agriculteurs et des jardiniers familiaux. Les femmes portent souvent la pérennité́ de ces structures.
L’ambition des politiques et des pays riches est de maintenir le Cap-Vert sous dépendance alimentaire par des dons de denrées d’une mauvaise qualité, en échange de leur voix à l’ONU et de futurs projets de bases militaires au milieu de l’Atlantique. Dès ma première visite dans l’île, j’ai apprécié le côté « agricole » de cette zone, seule tentative de reforestation avec élevage de vaches, cochons, chèvres… en liberté. Mais l’absence d’eau bloque tout projet.
Le cœur du projet
L’eau, comme le sol et les plantes, se cultive. Comprendre ces interrelations et en prendre soin, c’est prendre soin de la vie elle-même. Plus de la moitié des précipitations sur les continents provient de l’évapo‐transpiration des plantes et des sols. L’eau douce des nappes souterraines et des sources (0,3% de l’eau de notre planète) est la seule qui peut être utilisée par l’homme, la faune et la flore terrestre, elle est donc très rare et précieuse.
A Maio la gestion de l’eau demeure la priorité absolue. Avec une rareté des ressources hydriques très problématique, s’ajoute des pluviométries en baisse, sachant que 80% des ressources en eau viennent des pluies qui rechargent les nappes phréatiques. L’agriculture existante se meure, beaucoup d’habitants reçoivent l’eau par camion ou l’achètent au litre dans des stations de désalinisation gérées par l’état.
Le socle de ce projet va se construire d’abord sur la ressource en eau sans quoi rien n’est possible. Cette préciosité nous fait reprendre contact avec la dimension sacrée de l’eau. Gérer la ressource en eau dans un désert nécessite un ensemble de stratégies techniques et de remise en cause des connaissances établies pour avoir conscience que les éléments comme l’air, le sol sont des organismes vivants. Notre approche de la ressource en eau est particulière, il ne s’agit pas de faire comme souvent, creuser un puit (ici à grande profondeur), mettre une pompe à grand frais et ensuite exploiter cette ressource sans compter et au bout de quelques années se retrouver avec une eau saumâtre ou avec peu d’eau.
1 LE TRAVAIL DU SOL
Pour qu’un sol retienne l’eau, il faut qu’il soit vivant, qu’il contienne de la matière organique. La première phase des travaux consiste à s’occuper du sol. Un travail spécifique suivant les principes de la permaculture est nécessaire pour permettre d’économiser l’eau.
– D’abord planter des engrais verts comme le niébé et le mucina qui poussent en terrain sec.
– Aérer le sol avec du compost ligneux pour éviter le tassement. La matière organique est en fait du carbone, un sol en bonne santé peut à la fois retenir plus d’eau et séquestrer plus de carbone. Elle agit comme une éponge : une partie de l’eau reste stockée et est redistribuée progressivement. Des études montrent qu’en ajoutant une tonne de matière organique par hectare on augmente l’eau disponible de 17.000 litres à l’hectare.
– Prévoir des haies de guiera, une plante médicinale aux nombreuses vertus, capable d’apporter de l’humidité. Cette plante absorbe l’eau pendant la nuit et l’excrète par ses racines pour la donner aux arbres et légumes voisins (quelle belle résilience !)
– Composter les déjections des animaux pour enrichir la terre. En effet ces dernières sèchent au soleil sans que personne ne les ramasse. Ici pas de feuille, les seuls arbres existants sont des acacias épineux, on pourra broyer quelques branches mortes, ramasser des grosses herbes sèches, et tous végétaux en décomposition.
– Introduire la culture en butte, avec des ancrages de branchage pour éviter l’érosion et améliorer la fertilité.
Il est nécessaire de veiller à ce que ce sol soit suffisamment vivant pour qu’un travail de mycorhization s’effectue, grâce aux champignons et aux micro-organismes afin de nourrir et hydrater les racines. Pour rappel, le sol est un organisme vivant qui crée de multiples orifices, peuplé de millions de bactéries, de micro-organismes, de racines, qui permettent à l’eau d’arriver jusqu’à la roche mère. De la même manière, l’eau de la nappe phréatique peut aussi remonter.
Dans ma ferme en France, j’ai pu dynamiser mon sol avec du biochar (un charbon de bois particulier utilisé par les amérindiens la Terra Préta). Ce biochar allège le sol, sa porosité retient l’eau, et héberge les micro-organismes, les bactéries, les levures que l’on va lui donner. Un sol doit être protégé par un couvert végétal, pour que l’eau puisse être ramenée des couches profondes du sol. Notre concept va se rapprocher de créer une forêt tropicale multi-étagée.
La présence simultanée de plantes annuelles et leurs racines superficielles d’arbustes – avec leurs racines un peu plus profondes et d’arbres avec des racines profondes – va permettre l’exploration de tous les profils du sol.
L’arbre par sa plus grande capacité d’évapotranspiration va créer un micro climat. Une haie d’arbres va éviter le dessèchement des sols en les protégeant du vent. L’enracinement va permettre le phénomène d’ascenseur hydrique, qui sera renforcé par la présence de mycorhizes. De plus, les différences de hauteurs entre strates de végétations vont permettre des condensations en créant des différences de température.
Nous allons donc prévoir, quand c’est possible, des cultures étagées en associant arbres, arbustes, légumes, ou associer des légumes entre eux comme la Milpa : maïs, haricot, qui donnent l’azote aux maïs, celui-ci lui sert de tuteur, et la courge couvre le sol et garde l’humidité. Il s’agit de se réconcilier avec la vie de la nature qui nous entoure, de faire partie de ce système intelligent qui est au service de la vie. Une clef à ce projet, c’est d’intégrer dans cette vision de l’agroforesterie des arbres qui vont créer de la biomasse comme du moringa, des acacias, des bananiers. La taille de ces arbres prolifiques va donner du végétal, pour couvrir le sol et le nourrir. La taille va provoquer une augmentation des activités racinaires avec plus de métabolisme, la production par exemple d’acide gibbérellique dans le sol qui stimule la pousse.
2 – L’IRRIGATION
Des techniques ancestrales ont toujours existé, dans les zones arides :
L’irrigation gravitaire, l’irrigation partielle alternée, l’évapotranspiration potentielle, les oyas ou autres poteries enterrées, les foggaras, galerie drainante du Sahara, les djésours des déserts de Tunisie Maroc, les filets de brouillard comme la tour Waka, les tours spirales de brume, des arbres appelés (arbres fontaines) sont aussi capables de capter les brumes, comme le garoé, le fourcroyas (agave) qui fournissent jusqu’à 20l d’eau par jour. Canaliser les eaux de ruissellement par des mini-tranchées en suivant la topographie du lieu.
Des découvertes scientifiques permettent aussi des solutions pour la ressource en eau : Mettre en synergie la technologie moderne comme les générateurs d’eau atmosphérique, fontaines magnétiques, de matériaux métallo-organiques poreux, les l’hydrorétenteurs, comme le polyter, les hydrogels, mini-centrales autonomes low tech de désalinisation…
3 – LA BIODIVERSITE NOURRICIÈRE
Un conservatoire d’arbres nourriciers tropicaux endémiques correspondant au biotope de l’île :
Noix de coco, papaye, mangue, annone, chérimoya, fruit de la passion, baobab, fruit du dragon, passiflore, bananier, tamarissier, agrumes ananas…
Un conservatoire d’arbres tropicaux des pays voisins :
– Annona réticula/cœur de bœuf, artocarpus héterophyllus/jacquier, Diospyros digyna/ Sapote noir, acérola, poutéria champechiana/canistel, dimocarpus longan/longani, coffea/ caféier, Jaltomata cajacayensis, Artocarpusaltilis/arbre à pain, macadamia…
Un conservatoire d’arbres tropicaux aux actifs médicinaux : `
La plupart des fruits tropicaux ont des qualités nutritionnelles et médicinales intéressantes, il s’agit ici de sélectionner ceux ayant le plus d’actions pour la santé.
– Euterpe oleracea/Açaï : Palmier typique d’Amazonie, très puissant anti-oxydant, tonique général, lutte contre le vieillissement cellulaire, très riche en oligo-éléments, stimule les différentes fonctions de l’organisme.
– Annona muriatica : corossol : Diurétique, détoxifiant hépatique, régule la glycémie, apaise la dépression et les troubles du sommeil, lutte contre le paludisme, les feuilles font partie de protocoles anti cancer.
– Morinda citrifolia / nonni : Utilisé depuis la nuit des temps comme anti-inflammatoire, an‐ tibactérien, anti-douleur, anti- diabète, régule la tension artérielle et le sommeil, c’est un tonifiant de l’organisme son principe actif : la Xéronine est un anti-prolifératif tumoral. En usage externe, il soigne les plaies, et possède des qualités pour la cosmétique.
– Adansonia digitata/ Baobab, appelé « arbre de vie » et son fruit le pain de singe. Son taux de calcium est 3 fois plus élevé que celui contenu dans le lait. Il renferme 6 fois plus de potassium que la banane et 6 fois plus d’anti-oxidant que le cassis. Très riche en fer, en minéraux, c’est un tonic général, anti-inflammatoire, anti-micro‐ bien, anti diarrhéique, détoxifiant. Avec ses 50% de fibres, il est régulateur du transit, aphrodisiaque, lutte contre le vieillissement de la peau, favorise la cicatrisation et l’hydratation cutanée. La pharmacopée Africaine utilise l’écorce, les feuilles, la pulpe, les graines.
Un conservatoire de légumes anciens :
On retrouve l’héritage Portugais avec les tomates, les poivrons, les aubergines, les haricots secs, les fèves, le maïs, les piments. La culture africaine avec le manioc, les ignames, bananes plantin, patates douces, gombo, niebo. La biodiversité variétale est pauvre, la cuisine cap verdienne s’en ressent, tout particulièrement à Maio.
Un conservatoire de plantes médicinales d’herboristerie traditionnelle :
Autre problème, les plantes médicinales sont rares et de moins en moins connues, certainement en lien avec la lente disparition des tradipraticiens. On trouve, dans certaines îles, des vendeurs de plantes médicinales séchées, mais elles viennent d’Afrique ou du Portugal. Il y a un gros travail d’inventaire des ressources locales.
– L’Ourinzeira : contre les fièvres et le mauvais œil, à cet effet elle est plantée devant les maisons.
– La Kalanchoe pimata : anti-inflammatoire, cicatrisante
– L’Artémisia Gorgonum ou losma, armoise endémique du Cap Vert : Efficace contre les grippes, bronchites. Antipaludéen, anticovid, anti-tumoral.
Un pôle de recherche et d’applications pour valoriser les plantes des conservatoires ou du sauvage : afin de réaliser des alicaments et des produits cosmétiques. Reproduire la biodiversité de ces conservatoires est nécessaire pour les jardiniers, les agriculteurs, les passionnés. La seule pépinière existante sur l’île, à Calheta, est maintenant en faillite. La création d’emplois est nécessaire pour produire à nouveau des arbres et des végétaux si précieux pour nourrir la population.
Ma proposition est de dynamiser cette coopérative, mais aussi de créer par des micros crédits, des mini pépinières. Je tiens à préciser que le choix du lieu Monte Vermelho a été fait en cohérence avec le village de Calheta, et proche d’autres cultures agricoles, mon souci, ne pas être dans un endroit « ghetto » pour occidentaux mais avec «le peuple de la terre».
L’autonomie alimentaire de l’île de Maio n’est pas un vain mot. Le manque d’eau minimise les cultures et d’année en année, la situation est de plus en plus catastrophique en raison des conditions climatiques. En mettant en place ce système d’agroforesterie régénérative, nous voulons prouver que des solutions existent pour aller vers l’autonomie alimentaire.
En créant cette Oasis pilote nous pouvons trouver les clefs pour un développement de l’agriculture locale, et respectueuse du milieu. La vocation de ce lieu sera pédagogique pour permettre à d’autres projets de se multiplier. N’oublions pas l’adage : « Contrôlez la Nourriture et vous contrôlez les Peuples ».